Henry Cadenat est né à Toulouse en 1923 au sein d'une famille paternelle implantée dans cette région depuis plusieurs générations, sa mère ayant par contre ses racines en Corse, origine qu'il se plaisait à mentionner. Après des études secondaires menées rondement tout en les conciliant avec nombre d'activités culturelles ou sportives (il fut notamment un skieur remarquable), il suivit les traces de son père et s'inscrivit naturellement à la Faculté de Médecine de sa ville natale. Accumulant progressivement les titres (Chirurgien-dentiste, Docteur en médecine, Stomatologiste), il semble en fait qu'il ait hésité entre l'otorhinolaryngologie, qu'il exerça en tant que Chef de Clinique, et la stomatologie, discipline dans laquelle il obtint le rang de Professeur agrégé en 1955. En 1962, il devenait professeur titulaire de la chaire « Clinique Odonto-Stomatologique ». Parallèlement, il occupait les fonctions de Chef de service de Stomatologie, ayant choisi le temps plein hospitalier à la suite de la réforme Debré après avoir exercé l'orthodontie en cabinet privé pendant quelques années. Il s'entoura peu à peu d'une équipe médicale structurée et obtint une dizaine d'années plus tard la nomination successive de deux professeurs agrégés : Roger Combelles en Anatomie et Michel Fabié en Stomatologie.
A mon arrivée à Toulouse en 1974, je découvrais un service de Stomatologie vieillot, enchâssé dans les murs prestigieux mais quelque peu dégradés du vieil Hôtel Dieu en centre ville. J'ignorais qu'un nouvel hôpital était presque terminé au sud de celle-ci, intégrant un nouveau service flambant neuf remarquablement structuré par Henry Cadenat lui-même et regroupant habilement sur un périmètre réduit lits d'hospitalisation, blocs opératoires et consultations. Il allait rester dans ce très beau service jusqu'à sa retraite en 1992. L'intitulé de la chaire venait d'être modifié pour s'appeler « Clinique de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale », modification tout à fait symbolique des deux évènements majeurs de l'époque, à savoir la séparation de l'Odontologie et de la Médecine mais également l'arrivée d'une nouvelle discipline, authentiquement chirurgicale. Comme tous ses collègues de l'époque, il ne fait aucun doute qu'Henry Cadenat eut du mal à accepter de voir une partie de ses élèves lui tourner le dos au profit de leur nouvel espace de liberté. Comme ailleurs, les relations entre la Stomatologie et l'Odontologie s'en sont trouvées perturbées de façon durable. Mais il ne fait également aucun doute qu'il a d'emblée perçu l'orientation chirurgicale que devait prendre désormais sa discipline. Il a alors employé toutes ses forces pour défendre et promouvoir cette Chirurgie Maxillo- Faciale dont il avait prévu l'immense potentiel. Je lui suis tout particulièrement reconnaissant par exemple de m'avoir imposé, comme à tous ses élèves de l'époque, une formation de Chirurgie Générale dont il savait pertinemment qu'elle lui faisait personnellement défaut.
Parfaitement intégré au sein de la communauté hospitalo-universitaire toulousaine (ayant notamment été membre de la CME pendant des années), il sut exploiter le positionnement pertinent de son nouveau service sur le site de Rangueil tout en obtenant le maintien d'un second service, d'abord à l'Hôtel Dieu puis rapidement sur le site de Purpan, où se succédèrent ses élèves jusqu'en 1998, date de la réunion des ces deux services après le départ de Michel Fabié. Avec ses différents chefs de clinique, le domaine d'activité de la discipline se développa rapidement et furent ainsi abordés puis intégrées la traumatologie, la chirurgie orthognathique, la cancérologie, la microchirurgie et toutes les techniques de reconstruction. Mais son enthousiasme pour la discipline ne pouvait se satisfaire d'une action purement locale et il sut s'investir au niveau national, présidant un temps notre sous-section du CNU ainsi que l'Association des Professeurs et Agrégés de Stomatologie (qui deviendra le collège) jusqu'en 1992. C'est à ce poste qu'il pesa de tout son poids pour que la chirurgie maxillo-faciale fasse partie des disciplines chirurgicales issues de la chirurgie générale au même titre que la chirurgie digestive ou la chirurgie cardio-vasculaire, ce qu'il obtint à l'issue d'un débat parfois animé. Au niveau international, il fut un des premiers membres de l'Association Internationale de Chirurgie Maxillo- Faciale (IAMFS) qu'il présida de 1985 à 1990, association qui disparut par la suite face à la concurrence de l'EACMFS. Il organisa à Toulouse avec brio plusieurs congrès nationaux ou internationaux dans lesquels il n'oubliait jamais de permettre aux participants de profiter du patrimoine géographique et culturel de sa région. Lecteur infatigable, toujours à l'affût des innovations et curieux de toutes les nouvelles technologies, il savait susciter des travaux de recherche au sein de son équipe et excellait dans des présentations orales dont les qualités n'étaient pas que scientifiques, tant son art du discours impressionnait son auditoire. Parlant couramment le castillan, le catalan et l'allemand, il sut nouer de nombreuses relations internationales dont tous ses élèves ont pu bénéficier. Seul regret, sa méconnaissance de la langue anglaise l'a probablement empêché d'être reconnu par les anglophones, comme malheureusement nombre de ses collègues français de l'époque. Il fût néanmoins directement ou indirectement à l'origine d'un nombre incalculable de communications ou publications, se passionnant pour tous les sujets et jouant jusqu'au bout le rôle stimulant de chef d'école.
A côté de ce trajet professionnel irréprochable au sein duquel il convient aussi de mentionner les titres d'Officier des Palmes Académiques et de Chevalier de la Légion d'Honneur, il faut également témoigner de ses exceptionnelles qualités humaines sans lesquelles il est évident qu'il n'aurait pas pu avoir la carrière qui fut la sienne. Admiré voire adoré de tout son personnel qu'il aimait réunir à la moindre occasion, lui permettant ainsi de démontrer ses remarquables et légendaires qualités d'orateur, maniant avec talent l'humour et la rhétorique, il était attentif aux situations personnelles des uns et des autres. Son autorité naturelle était acceptée comme une évidence par tous et faisait que le travail d'équipe devenait avec lui un plaisir, lui permettant d'exploiter au mieux les qualités de chacun. Henry CADENAT nous a quittés le 06 décembre 2008, au terme d'une longue et douloureuse maladie qu'il a souhaité affronter dans la solitude avec le seul soutien de son épouse qui ne fut pas seulement pour lui une compagne fidèle et attentive mais dont on sait qu'elle partagea tout au long de sa vie la moindre de ses préoccupations et participa à nombre de ses décisions. A sa retraite, il n'avait pas souhaité conserver de liens particuliers avec son équipe, sans doute plus par discrétion que par désintérêt. A titre personnel, je ressens toujours une grande émotion à l'évocation de toutes ces années passées en sa compagnie, de la confiance mutuelle qui nous animait, de ces voyages faits en commun, de cette philosophie pragmatique et optimiste qui nous réunissait, de cet amour de la discipline et de la fierté de sa fonction. Des liens de plus en plus étroits s'étaient tissés entre le parisien guindé que j'étais et le méridional cultivé, bavard et distingué qu'il était fier d'incarner. Son absence est désormais irremplaçable et le seul espoir qu'on puisse formuler est que le chemin qu'il a tracé puisse continuer d'être suivi par ses élèves qui ont la responsabilité de lui succéder. Même si la mémoire a pour vocation de s'effacer, il est important que les jeunes générations sachent que le patrimoine qu'elles ont à gérer n'est que l'héritage de nos ainés. Il sera celui de nos enfants, à condition que nous soyons capables de le préserver.